Du monde arabo-musulman à la Renaissance : Religion et marchands

Avec la fin de l'Empire romain d'Occident (476), l'Europe entre dans ce qu'on appelle le Moyen Âge.

En Asie, l'Empire romain d'Orient, auquel on rattache le nom d'Empire byzantin, perdurera jusqu'en 1453... encore presque mille ans. Mais un nouvel empire prendra  forme environ 150 ans plus tard, prenant racine dans une nouvelle religion, l'Islam.

Les relations entre l'Europe et le nouvel empire sont déterminantes pour l'Occident. Jusqu'au début des croisades (1096-1291) ou un peu avant, on parle du Haut Moyen Âge. Par la suite, on parle du Bas Moyen Âge. Ce sont deux périodes très différentes.

Pourquoi les mathématiques sont-elles importantes pour la nouvelle civilisation arabo-musulmane?

Le Coran contient un certain nombre de prescriptions. Certaines, importantes, concernent :

  1. Les héritages;
  2. La Qibla (l'orientation des mosquées vers La Mecque et pour faire les prières);
  3. Le moment des cinq prières quotidiennes et la détermination des mois.

Les héritages

Le Coran, Sourate 4, v. 11 et 12 (du site maintenant non disponible : http://callisto.si.usherb.ca/~amus/coran/4.html)

Écouter le verset 11:



11. Voici ce qu'Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles. S'il n'y a que des filles, même plus de deux, à elles alors deux tiers de ce que le défunt laisse. Et s'il n'y en a qu'une, à elle alors la moitié. Quant aux père et mère du défunt, à chacun d'eux le sixième de ce qu'il laisse, s'il a un enfant. S'il n'a pas d'enfant et que ses père et mère héritent de lui, à sa mère alors le tiers. Mais s'il a des frères, à la mère alors le sixième, après exécution du testament qu'il aurait fait ou paiement d'une dette. De vos ascendants ou descendants, vous ne savez pas qui est plus près de vous en utilité. Ceci est un ordre obligatoire de la part d'Allah, car Allah est, certes, Omniscient et Sage.

12. Et à vous la moitié de ce laissent vos épouses, si elles n'ont pas d'enfants. Si elles ont un enfant, alors à vous le quart de ce qu'elles laissent, après exécution du testament qu'elles auraient fait ou paiement d'une dette. Et à elles un quart de ce que vous laissez, si vous n'avez pas d'enfant. Mais si vous avez un enfant, à elles alors le huitième de ce que vous laissez après exécution du testament que vous auriez fait ou paiement d'une dette. Et si un homme, ou une femme, meurt sans héritier direct, cependant qu'il laisse un frère ou une sœur, à chacun de ceux-ci alors, un sixième. S'ils sont plus de deux, tous alors participeront au tiers, après exécution du testament ou paiement d'une dette, sans préjudice à quiconque. (Telle est l') Injonction d'Allah ! Et Allah est Omniscient et Indulgent.

Un problème et sa solution


Un musulman décède en laissant sa femme et ses deux filles, ainsi que son père et sa mère. Selon les prescriptions du Coran, les biens du défunt devraient être répartis ainsi :
Épouse le huitième
Mère le sixième
Père le sixième
Les filles les deux tiers.
Mais la somme de ces fractions (27/24) dépasse l’unité. Que faire ?
Le compromis proposé est de diviser l’ensemble de l’héritage en 27 parts et de les répartir ainsi :
Épouse 3 parts
Mère 4 parts
Père 4 parts
Les filles 16 parts.

Est-ce une bonne solution ?

Muhammad Ibn Mūsā al-Khwārizmī (v. 780 - 850)

Un homme de grand talent et influence. À preuve, deux mots utilisés aujourd'hui et qui lui sont associés:

  • algèbre : du mot al-jabr (voir ci-dessous)
  • algorithme : déformation du nom même d'al-Khwarizmi, en rapport avec les algorithmes des opérations élémentaires décrits dans son livre Livre de l'addition et de la soustraction d'après le calcul indien, livre qui a répandu dans le monde arabo-musulman l'usage de la numération positionnelle indienne.

La résolution des équations : Précis sur le calcul de al-jabr et al-muqabala, par al-Khwârizmî


Informations tirées de : Ahmed Djebbar, Le nombre, la racine et le bien, in Cahier de Science & Vie, No 56, avril 2000, pp. 42-48. Louis Charbonneau et Jacques Lefebvre, Placement and Function of problems in algebraic treatises form Diophantus to Viète, in Bednarz, N, Kieran, C., Lee, L., Approaches to Algebra, Perspectives for Research and Teaching, Kluwe Academic Publishers, 1996, pp. 155-166.

Ce que nous dit al-Khwarizmi au début de son livre

J'ai rédigé sur le sujet de la restauration et de la comparaison un livre abrégé englobant [les choses] les plus subtiles et les plus nobles du calcul dont ont besoin les gens dans leurs héritages, dans leurs donations, dans leurs partages, dans leurs jugements, dans leurs commerces et dans toutes les transactions qu'il y a entre eux à propos de l'arpentage des terres, du creusement des canaux, de la géométrie et d'autres choses relatives à ses aspects et à ses arts [...]. Lorsque j'ai réfléchi à ce dont ont besoin les gens en calcul, j'ai découvert que tout cela était des nombres et j'ai découvert que tous les nombres sont composés en fait [à partir] de l'un et que l'un est dans tous les nombres [...]. J'ai découvert aussi que les nombres dont on a besoin dans le calcul par la restauration et la comparaison sont de trois types : ce sont les racines, les biens et le nombre seul, non rapporté à une racine ni à un bien.


Structure du livre

Première partie (algèbre) (p. 5 à 67 dans l'édition de Rosen de 1831)
  • Types de nombres et règles de résolution des six formes canoniques et leur démonstration géométrique. (voir ci-dessous)
  • À propos de la multiplication (de binômes du premier degré)
  • À propos de l'addition et de la soustraction (sur les radicaux avec démonstration géométrique)
  • À propos des six problèmes (Exemples)
  • Diverses questions (34 problèmes divers)

Deuxième partie (pp. 68-174)

  • À propos des transactions commerciales (règle de trois)
  • Mesures, aires et volumes (un problème d'algèbre)
  • À propos des héritages (61 problèmes, tous du premier degré, pp. 86-174)

Les six types canoniques pour résoudre les équations

1) ax2 = bx        4) ax2 + bx = c

2) ax2 = c          5) ax2 + c = bx

3) bx = c            6) bx + c = ax2

Pour le cas 6 par exemple, Djebbar propose de parler plutôt de

                            « b fois racine de x carré + c = ax carré »

                (Figure ci-contre : Ahmed Djebbar, Le nombre, la racine et le bien, in Cahier de Science & Vie, No 56, avril 2000, 45. )

Comment faire pour se ramener l'équation 2x2 + 100 - 20x = 58 à l'une des six formes connues :

  • Par al-jabr (remplissage, restauration) :

2x2 + 100 = 20x + 58

  • puis par al-muqabala (balancement, comparaison) :

                2x2 + 42 = 20x

  • et, par division par deux :
 x2 + 21 =10x


Exemple de problème et de sa solution du cinquième type ( A.P. Youschkevitch, Les mathématiques arabes (VIIIe - XVe siècles), Paris : Vrin, 1976.)
Quel sera le montant d'argent (mal) qui lorsqu'on lui ajoute 21 dirhams équivaut à 10 racines de ce montant ?
[Équation en notation moderne : x2 + 21 = 10x]
Divise en deux les racines, ce qui donne 5; multiplie 5 par lui-même, tu obtiens 25; retire les 21 qui sont ajoutés au carré; il reste 4; extrais la racine - cela donne 2 - et retire-la de la moitié de la racine, c’est-à-dire de 5; il reste 3; c’est la racine du carré que tu cherches et le carré est 9. Si tu le désires, ajoute cela à la moitié de la racine, ce qui donne 7, qui est la racine du carré que tu cherches et dont le carré est 49. Si tu rencontres un problème qui se ramène à ce cas, examine alors sa justesse à l’aide de l’addition; si tu ne le peux, tu obtiendras certainement (la solution) à l’aide de la soustraction. Parmi les trois cas dans lesquels on doit diviser en deux les racines, c’est le seul où l’on se sert de l’addition et de la soustraction. Sache en outre que si dans ce cas, tu divises en deux la racine, que tu la multiplies par elle-même et que le produit est plus petit que les dirhams qui sont ajoutés au carré, alors le problème est impossible. Mais s’il est égal aux dirhams, la racine du carré est égale à la moitié de la racine, sans qu’on ajoute ou retire quoi que ce soit.